N. Furrer: Die vierzigsprachige Schweiz

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Titel
Die vierzigsprachige Schweiz. Sprachkontakte und Mehrsprachigkeit in der vorindustriellen Gesellschaft (15.–19. Jahrhundert)


Autor(en)
Furrer, Norbert
Erschienen
Zurich 2002: Chronos Verlag
Anzahl Seiten
1178 S.
Preis
URL
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Stéphane Tendon

Parmi les phrases lapidaires dont sont coutumiers les enseignants ès lettres, on trouve celle qui mentionne aux étudiants que leur priorité dans leurs études consiste à «apprendre à lire». Aussi prêtera-t-on une attention particulière au titre de l’ouvrage de Norbert Furrer, que plusieurs lecteurs auront tendance à écorcher, par une forme d’automatisme dans la lecture. En effet, on ne va pas traiter d’une représentation classique de la «Suisse aux quatre langues» dans cet ouvrage; l’auteur entend bien explorer une Suisse aux quarante langues, chiffre quelque peu arbitraire qui insiste sur la multiplicité linguistique qui prévalait à l’époque préindustrielle dans notre pays. La recherche de N. Furrer comprend deux volumes: le premier représente une somme d’investigations, le second rassemble un corpus de tabelles comparatives et de sources qui ont servi de base empirique au premier volume.

Le premier volume de l’étude décrit la réalité linguistique de l’Ancien Régime sur le territoire de la Suisse de 1450/1500 jusqu’à 1850/1900. Ce volume est luimême divisé en deux parties et en huit chapitres. La première partie décrit les caractéristiques de la période et tente un inventaire des variétés que présentent les communautés linguistiques, abordant la pertinence et l’influence du plurilinguisme de l’Ancien Régime. La seconde partie traite de cas plus localisés, telle l’étude de cas sur la situation linguistique du canton de Vaud dans les décennies qui précèdent et celles qui suivent directement la Révolution. L’étude qui s’attache aux mercenaires suisses (soldats comme officiers) démontre comment le contact avec un autre groupe linguistique est susceptible de modifier le comportement d’un locuteur. Enfin, un chapitre porte sur Kaspar Stockalper et montre la flexibilité, si ce n’est la déconcertante facilité avec laquelle un Suisse du XVIIe siècle passe d’une langue à l’autre.

Les sources de N. Furrer sont diverses; elles relèvent d’études ponctuelles, sérielles, de textes normatifs ou analytiques, de sources recueillies dans des fonds privés ou dans des archives publiques.

Concrètement, les documents utilisés par l’auteur sont des mandats, des actes de procès, de la correspondance personnelle ou officielle, des récits de voyage ou de vie, des autobiographies, des inventaires de bibliothèques, des dictionnaires, des manuels, des grammaires, des pamphlets, des essais ou – certes plus rarement – des oeuvres littéraires.

L’auteur reconnaît que son ouvrage est d’un abord difficile et qu’il convient d’y revenir souvent, en fonction de ses intérêts. Son premier volume se lit pourtant avec un intérêt soutenu, tant la méthode utilisée paraît convaincante. Historien, l’auteur s’inspire de méthodes développées par des linguistes ou des sociolinguistiques, apportant des éléments nouveaux à la Sprachkontaktforschung, à la Kontaktlinguistik ou encore à l’histoire sociale sub specie linguarum.

L’objectif de N. Furrer est de s’inscrire en faux contre le dogme de l’homogénéité linguistique véhiculé au long du siècle dernier: «l’interculturalité» est un concept qui ne date pas du XIXe siècle. Au contraire, les sociétés préindustrielles pratiquent peu l’expérience monoculturelle de nos pays contemporains, Etats-Nations sur-normés en matière langagière. Le phénomène de bascule entre une société préindustrielle monolinguistique et une société industrielle plurilingue serait donc une représentation assez naïve de l’héritage culturel que nous ont laissé nos ancêtres.

«Doch gibt es in Wirklichkeit Sprachgrenzen ohne natürliche Hindernisse und natürliche Hindernisse ohne Sprachgrenzen» (Vol. 1, p. 136): à l’image de linguistes avant lui (notamment W. Haas), N. Furrer tient à démonter le concept de «frontières linguistiques», qui ne sont généralement pas des divisions réelles ni même visibles de plusieurs régions, mais la plupart du temps des coupures virtuelles, qui ne tiennent pas compte d’une zone de contact entre les cultures, où l’interculturalité est régulièrement présente, quand elle ne constitue pas la norme. La frontière linguistique tait le rôle du Sprachgrenzgänger; ce terme qui n’a de façon cocasse pas d’équivalent en français ne tient pas du passe-murailles éphémère ou audacieux, mais d’un habitant qui franchit la frontière linguistique régulièrement lorsqu’il travaille dans une autre zone linguistique, ou qu’il côtoie dans son village des allophones.

L’auteur rappelle que, sous l’Ancien Régime, le dialecte est l’idiome primaire et que son usage reste déterminant à vie. Or, si la norme caractérise une langue standardisée, la variété et l’originalité vont de pair avec les dialectes, qui varient parfois d’une famille à l’autre et présentent différentes couches et s’interpénètrent. Dès le milieu du XIIIe siècle, les langues vernaculaires entrent en concurrence avec le latin et se traduisent à travers des actes ou de la correspondance qui n’est plus tenue uniquement en latin, langue hégémonique jusque-là dans le domaine de l’écrit. Pour Furrer, non seulement ce phénomène connu est incontestable, mais il peut même être daté précisément en Suisse. L’auteur démontre en effet que l’emploi de dialectes à l’écrit dans des actes se produit dès 1251 en Suisse alémanique, alors que pour la partie francophone du pays, le Jura présente des analogies encore plus tôt (en 1244). A l’inverse, il faut attendre le XVe siècle pour trouver des analogies dans le Milanais, alors que les dialectes grisons n’émergent – à deux exceptions près (surmeirisch, surselvisch) – qu’au XVIe siècle en tant que langues imprimables («druckfähig»).

Au cours du XVIe et à plus forte raison du XVIIe siècle, le français se standardise et surpasse progressivement le latin comme langue des sciences, de la philosophie ou de la diplomatie. Les autres langues «nationales» sont progressivement codifiées elles aussi, mais dans les campagnes, les dialectes sont toujours en cours. N. Furrer estime qu’entre 1750 et 1850, les langues nationales remplacent le latin pour s’imposer comme l’Organ der Nationenbildung ou encore comme la Seele der Nation. Dans nos pays voisins, la langue incarne l’esprit de la nation: elle définit dès lors un critère à la fois d’appartenance et d’exclusion. La Suisse de 1848 consiste en une exception européenne, puisqu’elle reconnaît comme langues nationales l’allemand, le français, l’italien, et plus tardivement (1938) le romanche. A cette époque, la prégnance de la «noblesse» d’une langue s’établit. Une langue a de l’importance dès lors qu’elle s’écrit et que sa répartition territoriale est importante.

Une des originalités les mieux venues de l’ouvrage de Furrer est qu’il aborde des langues minoritaires voire marginales de l’Ancien Régime, comme le Yiddish, première langue minoritaire «suisse» dont on a conservé des écrits. L’usage de ces «langues à part» force notre intérêt, le concept de Rotwelsch s’appliquant à plusieurs régions en Suisse.

Par Rotwelsch, on entend les jargons dits de mendiants ou de voleurs, les lingue furbesche, celles-là même décrites par Bernardino Biondelli en 1846. Dans cette catégorie se classent le Jenisch ou le Mattenenglisch, ce dialecte issu du quartier de la Matte à Berne, que W. Haas a décrit comme un Jenisch sédentarisé. Il se compose de dialecte bernois et d’emprunts à plusieurs autres langues et ne renie pas les effets de verlan pour se rendre incompréhensible aux non-initiés. Le Mattenenglisch a progressivement disparu durant l’entre-deux-guerres. Enfin le cas du bolze: N. Furrer dénote qu’il représente davantage un comportement linguistique mélangeant dialecte alémanique à un accent fribourgeois francophone, plus u’une forme de pidgin propre à la Basse-Ville de Fribourg. Ces phénomènes de Rotwelsch sont essentiellement urbains.

Il est aussi question des langues secrètes, rattachées à l’usage d’un métier, souvent des travailleurs itinérants ou à des argots urbains. Les tailleurs de pierre du Pays de Vaud parlent le terratchu, alors que les compagnons du voyage allemands utilisent la Kunden- ou la Walzsprache. Les vanniers de Gumefens ou de Sorens (Gruyère) et les travailleurs sur appel de la Heuwaage à Bâle parlent un argot. De même, bien que leurs langues ne soient pas tenues secrètes, les chasseurs, imprimeurs, agriculteurs, viticulteurs, bateliers, musiciens, soldats, étudiants ont leurs jargons, qui se déclinent à travers une forme orale – dialectale – et une forme écrite.

On doit encore relever que l’auteur a fait une tentative de recension des langues effectivement parlées en Suisse de 1728 à 1849 (Vol. 1, pp. 61–65). Bien qu’il ait relativisé leur importance, l’auteur fournit une typologie remarquable des différentes frontières qui peuvent séparer des régions linguistiques. Furrer parle de frontière diatopique (la frontière entre deux Etats correspond à une division linguistique), diacratique (la frontière sépare deux communautés linguistiques dans un même Etat, une communauté dominant l’autre), diadoxique (frontière modifiée par un événement externe à la langue, exemple la Réforme), diastratique (présence d’une rupture linguistique entre différentes classes sociales), diataxique (idem, mais pour les sociétés d’Ancien Régime), diagéniques (nuances dans le parler entre les hommes et les femmes), diachronique (rupture linguistique entre les générations) ou encore diaphasique (rupture linguistique en rapport avec un événement ou une période particulière).

Bien que Furrer ne prétende pas établir un jargon ou une langue secrète qui réunirait et ravirait les humanistes autour d’un même espéranto typologique, la Suisse aux quarante langues est d’ores et déjà considéré comme un des meilleurs ouvrages de référence sur la Suisse plurilingue.

Citation:
Stéphane Tendon: compte rendu de: Norbert Furrer: Die vierzigsprachige Schweiz, Sprachkontakte und Mehrsprachigkeit in der vorindustriellen Gesellschaft (15.–19. Jahrhundert), Zurich, Chronos, 2002. Vol. 1: Untersuchung, Vol. 2: Materialien. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 54 Nr. 1, 2004, p. 100-103.

Redaktion
Veröffentlicht am
06.12.2011
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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